Reportage Bain de Blues 2022 - 22 & 23 avril 2022
(Y. Philippot-Degand)

C’est avec un très grand plaisir que nous avons pu retrouver en cette fin avril l’ambiance chaleureuse et décontractée de Bain de Blues. Deux éditions annulées pour cause de pandémie ont laissé un vide dans les printemps 2020 et 2021. Toutefois, les organisateurs en se sont pas découragés. Appuyés sur une remarquable équipe de bénévoles, ils ont pu à nouveau enclencher la machine.
Comme d’habitude, juste avant l’ouverture officielle, les premières notes de musique vivante émanèrent de la tente où était installé Colour of Sound, le groupe d’Opus 17, l’école de musique de Bain de Bretagne, occasion de constater en quelques reprises connues que les jeunes musiciens avaient continué leur progression malgré la pandémie.

Puis, toujours suivant une forme de tradition, c’est le groupe chargé des inter-scènes qui a entamé les débats dans la grande salle. Petite surprise, le groupe prévu (New Witch Doctors, à ne pas confondre avec les Witch Doctors normands) n’avait finalement pas pu répondre à l’invitation, espérons que ce sera pour une prochaine édition. Il a été remplacé au pied levé par le groupe breton Sextan. Comme le montre l’anagramme de son nom, le groupe de Dominique Lardic, fort d’une quarantaine d’années de carrière, va pour leur plus grand plaisir plonger les festivaliers dans une ambiance texane en attaquant par trois reprises efficaces et bien en place de leur groupe fétiche ZZ Top. Et puis quel plaisir un peu plus tard, au fil des sets, de les voir interpréter aussi parmi d’autres reprises de ZZ Top et d’autres artistes du Texas quatre morceaux d’un des groupes-fétiches de RTJ : Point Blank.



Sur la grande scène, la mission d’y lancer le festival avait été confiée à Flyin’Saucers Gumbo Special, groupe français qui a tout de suite transporté le public du Texas de Sextan vers les rivages plus chaloupés de la Louisiane. Bien emmené par Fabio Izquierdo (chant-accordéon-harmonica) et Cedric Le Goff (clavier-chant), le quintet a fait découvrir avec bonne humeur ses titres originaux et dansants à un public tout de suite séduit par la musique comme par la proximité joyeuse des musiciens avec l’assistance. Dans cette atmosphère bon enfant entre zydéco, rhythm’n’blues et rock’n’roll, on a toutefois pu noter au passage l‘habile utilisation de l’accordéon de Fabio Izquierdo, lui permettant de sonner parfois à la manière d’une section de saxes. Sympa.



Après ces deux groupes typés, on aurait pu penser qu’il n’était pas très facile pour Noreda Graves d’imposer sa soul soyeuse, mais la chanteuse et son groupe ont coché toutes les cases de la classe internationale. Charmeuse, Noreda s’est appuyée sur une voix d’une très grande qualité, au service d’un gros feeling et d’interprétations tout en nuances quand la musique l’exigeait. Soutenue à la perfection par un groupe très au point, au groove impeccable, elle a fait montre en plus d’un charisme et d’une présence impressionnants qui lui ont permis de mettre immédiatement le public dans sa poche. Entre gospel, soul, blues et jusqu’aux frontières du funky, Noreda a emmené avec elle une audience ravie à la fois de la découverte musicale et de la sympathie se dégageant de sa personne. Une de ces très belles découvertes que Patrick Lecacheur nous fait parfois partager.

Malgré la qualité bluffante de Noreda Graves, sa notoriété est encore loin d’égaler dans nos contrées celle bâtie année après année par l’artiste majeur pour lequel une bonne partie de l’assistance s’était déplacée. Oui, mais voilà, après avoir rencontré sur la route quelques contretemps, l’ensemble du groupe est arrivé à Bain trop tard pour faire sa balance avant le spectacle, et a dû procéder à cette indispensable étape juste avant son passage sur scène, après quelques explications de Patrick Lecacheur et devant un public très compréhensif au bout du compte. La rigoureuse organisation du festival a pris un petit retard, c’était le prix à payer pour bénéficier du meilleur spectacle possible, et nous ne fûmes pas déçus, c’est peu de le dire.



Malgré l’assurance d’avoir avec lui une bonne partie du public conquise d’avance, Little Bob et ses Blues Bastards ont tout de suite mis les pendules à l’heure avec un « All or Nothing » puissant envoyé comme un missile vers un public qui ne demandait qu’à rendre hommage à une légende. Le ton était donné et à presque 77 ans, Little Bob, en osmose avec un groupe soudé malgré les années de pandémie, a envoyé un set splendide, une vraie claque pour les quelques personnes ne le connaissant pas encore (si si ça existe !), qui n’hésitaient pas ensuite à partager leur étonnement devant la pêche incroyable dégagée par le chanteur et ses acolytes. Puisant dans toutes les époques de sa longue carrière, c’est un Little Bob dynamique, heureux d’être là et bien en voix qui a pu égrener un répertoire choisi où se trouvaient pêle-mêle des titres comme « Italian Nights », « Ringolevio », une version en anglais de « Bella Ciao », « Long Legs », l’hommage inédit de Little Bob à la petite amie de ses débuts, « We Need Hope », son dernier titre-phare tiré de son récent album du même nom, ou « Lost Territories » (on ne va pas tout vous citer), avant de terminer par un medley bien rock’n’roll. Après quelques morceaux, le public a pu en outre profiter des retrouvailles sur scène entre les Blues Bastards et un Mickey Blow très motivé : ils n’avaient pas pu jouer ensemble depuis deux ans pour cause de pandémie. Si vous entendez que Little Bob Blues Bastards est programmé près de chez vous et que vous avez l’occasion de prendre un billet, n’hésitez surtout pas ! L’énergie incroyable est toujours là, la qualité musicale aussi et vous rentrerez chez vous la tête remplie comme les nôtres d’un merveilleux souvenir.



Après une telle tornade, et malgré une heure qui commençait à se faire tardive, comment clôturer en beauté cette soirée magique ? Fort heureusement, le Vicious Steel Fuel Band de Cyril Maguy et Mathieu Pequeriau ne manque pas non plus d’énergie et a parfaitement réussi à capter ce qui restait de l’attention des spectateurs. Que de chemin parcouru par son leader depuis le duo des débuts, en passant par l’épisode « one man band » de Cyril Maguy ! L’actuelle formation dispose aussi d’une basse, d’un harmonica et de deux cuivres (trompette et trombone) qui lui permettent de dispenser une pêche impressionnante à sa prestation, sans exclure les moments plus intimes, comme lors d’un morceau joué en duo avec juste l’appui d’une contrebasse, avant de repartir en trombe avec le groupe sur « La Fille du Bord du Lac » où le trompettiste a pu se distinguer. Le tracteur trônait comme d’habitude au milieu de la scène et a servi à une intense démonstration de slide-guitare. Après avoir maintenu dans le public la flamme habitant cette incroyable première soirée, Cyril Maguy et ses complices ont pu bénéficier d’un rappel bien mérité dans une salle encore très bien remplie et ont terminé la soirée en beauté avec « The House of New Orleans » et ses accords bien connus des apprentis guitaristes. Quelle fantastique et mémorable soirée !

Comme de coutume, Bain de Blues est complété le samedi après-midi dans la ville par une partie « off » baptisée « Bar’n’blues ». Cette année, le premier à se produire, en version « one man band » comme on dit maintenant, aux « Deux Marches », un des deux bars participant, devait être Lone Wolf, le bluesman nantais par ailleurs bien connu pour son activité avec ses Back Door Men. Mais entre temps le vieux loup avait découvert qu’il avait pour voisin Fabrice, un louveteau connu en Bretagne pour ses apparitions à l’harmonica avec Black Bus, groupe de blues à cheval sur Bretagne et Pays de Loire. Trois répétitions plus tard, le duo était formé et Lone Wolf s’est donc présenté dans une formation inédite, accompagné de ce nouvel acolyte. Soyons clair : malgré la nouveauté de leur partenariat, ce duo-là fonctionne très bien et Lone Wolf a pu compter sur l’appui efficace de Fabrice pour dérouler de sa voix éraillée et chaude, particulièrement adaptée au style, son répertoire composé à la fois de reprises traditionnelles de blues ((Leadbelly, Blind Willie Johnson, Fred Davies…) et de compositions originales. Nul doute que ce très bon moment pourra servir de tremplin à une collaboration plus poussée entre nos deux bluesmen.

Dès la fin de la prestation, il faut foncer vers le « Point Bar » pour le rendez-vous avec Blue Cat Bones, le duo acoustique de reprises composé depuis quelques années déjà par Jules (guitares, harmonica, percussions aux pieds, chant) et Bertrand (basse, chant). Les deux passionnés ont revisité un répertoire éclectique mêlant des références traditionnelles (Reverend Gary Davis, Mississippi John Hurt, Jesse Fuller, Big Bill Broonzy, Jimmy Reed…) à des successeurs moins anciens et plus connus du grand public (Creedence Clearwater Revival, Bob Dylan…), profitant même de la participation d’un harmoniciste de passage dans le public pour faire le bœuf, épisode sympathique bien dans l’esprit. Encore un très agréable moment auquel a pu assister dans une ambiance chaleureuse un public un tout petit peu plus nombreux que dans l’arrière-cour un peu exiguë des « Deux Marches ».

Tout s’enchaîne très vite en cette journée du samedi, et il ne faut pas lambiner pour revenir à la grande salle du Festival où Colour of Sound est déjà en train de réitérer sa prestation de la veille. Aujourd’hui, les inter-scènes sont assurées par The Blue Monkeys, trio à haute énergie, jouant habituellement sans bassiste et où Mathieu Pequeriau, le batteur des Vicious Steel, aux percussions mais aussi ici à l’harmonica, soutient l’activité débordante de Bruno Clément (chant, Telecaster) et Dani Bouillard (Telecaster, chant) dans un style qui navigue entre Dr Feelgood dont ils jouent quelques titres, rock garage et rock’n’roll plus traditionnel mais bouillonnant. Après les premières inter-scènes en trio, ils seront rejoints par un bassiste : né comme un duo, ce groupe nous a-t-il donné à Bain de Blues la primeur d’un devenir en quatuor ? En tous cas, ils auront eux aussi séduit le public par leur enthousiasme et leur générosité.

Le deuxième soir, pour ouvrir la soirée sur la grande scène, Bain de Blues fait traditionnellement appel au vainqueur du Prix Bain de Blues des Rendez-Vous de l’Erdre. Pour 2021, les lauréats étaient les membres du trio The Jake Walkers, qui, alors renforcé pour l’occasion par Denis Agenais aux percussions, avaient déjà fait une apparition remarquée dans la région l’automne dernier au festival Montfort Blues. La dynamique du trio nous a permis d’observer leur récente évolution, laissant plus de place à la guitare de l’exubérante Ady, qui s’est révélée parfaitement compétente pour prendre quelques chorus, et à la voix de Bastien Flori, toujours très efficace à la guitare, mais qui a pu aussi nous faire découvrir sa façon convaincante de prendre la voix principale. Naviguant avec bonne humeur et, il faut dire, une certaine classe, du blues au rockabilly, en passant par le swing ou la country, le groupe visiblement complice a reçu un excellent accueil, très mérité, pour ses petites histoires musicales bien ficelées, qu’elles soient amusantes, franchement sexuelles ou plus tragiques.
Changement total d’ambiance avec le groupe milanais né en 2009 à Pise (!) Betta Blues Society, emmené sur scène par la personnalité originale, extravertie et très démonstrative de la chanteuse Elisabetta Maulo, qui occupe la scène avec une grande générosité et attire tous les regards par sa présence électrique, en total contraste avec le co-fondateur du groupe, le guitariste Lorenzo Marianelli, beaucoup plus introverti, qui joue quasi-immobile, assis dans un coin, et tire de sa guitare des sonorités quelquefois étranges. Un groupe très surprenant bien calé sur une section rythmique dans laquelle le contrebassiste Fabrizio Balest réussit à donner la réplique à Elisabetta Maulo tout en contribuant avec le remarquable batteur Pietro Borsò à propulser le groupe dans une dynamique entraînante pouvant inclure parfois quelques prouesses déroutantes. Vous l’aurez compris, on ne s’ennuie pas en assistant à la prestation de ce groupe à la fois très technique et incroyablement énergique, qui sait aussi faire passer des émotions plus poignantes lors de ses morceaux les plus calmes. Encore une découverte marquante et très originale de l’équipe de Bain de Blues, car le groupe ne se produit pas souvent dans nos contrées, et il aura totalement conquis une partie du public qui ne s’attendait pas à un tel impact.



Heureusement, The Blue Monkeys ont servi de transition pour passer à un tout autre univers, celui de Big Daddy Wilson, une formidable grosse machine chromée, professionnelle jusqu’au bout des ongles, mais ô combien efficace et qui a su faire passer un indéniable feeling malgré son côté « limousine du blues ». La présence bonhomme et décontractée et la voix travaillée et prenante de Big Daddy, un vrai régal, sont pour beaucoup dans la complicité qui s’est tout de suite établie avec le public. Ce qui aurait pu n’apparaître « que » comme un très impressionnant instrument à jouer du blues a ainsi ajouté une dimension chaleureuse bienvenue, mais d’où tout débordement semblait exclu. La formation très classique batterie/basse/guitare/claviers, où à ce dernier poste dominaient surtout les sons d’orgue, a amplement participé à l’émergence d’un set remarquable, même si de temps en temps on aurait aimé qu’un harmonica un peu gueulard viennent trancher la pondération d’un ensemble très bien huilé. On ne peut que tirer son chapeau devant une prestation de haut niveau, qui aura laissé une très forte impression qu’il est difficile de retranscrire par des mots. Un artiste qu’il ne faut pas hésiter à aller écouter si on aime le blues sous une forme assez traditionnelle.

Encore un peu estomaqués par le passage remarquable de Big Daddy Wilson, les spectateurs ont attendu avec curiosité celui de JP Bimeni et de ses Black Belts. Ce n’est pas tous les jours qu’on peut écouter de la soul burundaise, même si elle a été affinée au Royaume-Uni. Le croiriez-vous ? Et bien ce fut une nouvelle énorme performance ! Souriant, charmeur, et doté lui aussi d’une incroyable voix de ténor, JP Bimeni a livré une prestation tout à fait séduisante qui a rappelé aux anciens les meilleurs représentants du style. Soutenu par une formation là encore très classique, mais comportant une section de vents sax/trompette, le chanteur a rapidement emmené le public dans son univers marqué par la présence invisible d’Otis Redding grâce à un charisme indéniable et un véritable sens du contact avec le public. Encore un superbe cadeau des organisateurs ! Dire que le monde aurait pu ne jamais connaître ce talent qui a échappé au moins deux fois à la mort dans sa jeunesse avant de pouvoir rejoindre les rivages moins risqués du Royaume-Uni ! En tous cas, cet artiste authentique et très simple dans ses manières a fait montre d’une grande classe en mettant un point final à cette édition 2022 du festival, qui aura été marqué tout au long de son déroulement par le charme, l’accessibilité et la chaleur humaine des artistes de l’affiche.

Nous avons pu vivre une édition absolument remarquable, toujours très bien organisée avec cette précieuse cohorte de bénévoles, et qui a renoué avec les meilleurs moments des éditions précédentes. Même les quelques petits tracas qui ont très ponctuellement troublé cette organisation n’ont pas réussi à la gâcher. Bien sûr, comme la plupart des autres photographes, j’ai raté quelques clichés en raison d’un éclair aveuglant soudain venu du fond de la scène au moment où je déclenchais, cela en a fait râler quelques uns, mais les festivaliers venus là pour le spectacle ont pu pleinement profiter d’une musique à son meilleur niveau servie par des artistes remarquables qui tout au long de ces soirées ont su avec sympathie établir le contact avec eux. Cela fait du bien de renouer avec cette qualité, et bien qu’un peu fatigué, on ne pouvait à la sortie que se projeter dans l’anticipation d’une édition 2023 aussi réussie.

Y. Philippot-Degand

Copyright © 2007 Road to Jacksonville
Webmaster : Patrice GROS
Tous droits reservés.
Design par Zion pour Kitgrafik.com